INTRODUCTION
Saint Thomas d’Aquin est un philosophe
du moyen âge (1224/1225 – 1274, né à Roccasecca, près d’Aquino en Italie) qui, dans sa philosophie s’est inspiré de la
philosophie d’Aristote. Dans sa philosophie, comme dans celle de son
inspirateur, la notion d’être a joué un grand rôle. Dans sa théorie, Saint
Thomas d’Aquin a insisté sur la notion d’être en montrant ce que l’être est
réellement. Dans notre travail, nous allons voir ce que ce penseur du moyen âge
a dit à propos de l’être et partant, ce que Saint Thomas d’Aquin appelle
analogie, analogie de l’être. Mais alors, l’on peut se demander qu’est-ce que
l’être ? Qu’est-ce que l’analogie de l’être ? Qu’en dit Saint Thomas
d’Aquin ? C’est à ces questions que nous allons essayer de répondre dans
ce travail de recherche.
NOTION D’ETRE
Par
définition, « L’être est ce
qu’une réalité est ; l’essence de cette réalité »[1]. Chez Aristote, l’être est définit comme « substance
et de manière secondaire comme accident de la substance »[2]. Chez Saint Thomas, l’être est « ce que
l’intelligence saisit d’abord comme son objet le plus connu et en quoi elle
résout toutes ses conceptions »[3].
L’être se définit de deux façons :[4]
- De façon descriptive : l’être c’est ce qui existe soit par soi
(Dieu), ou bien ce qui au moins peut exister (nomine entis communiter intelligitur id quod existit aut saltem
existere potest).
- D’une façon plus formelle, en tant qu’il est abstrait au moins imparfaitement de ses analogués : l’être c’est ce dont l’acte est l’existence (ens id cujus actus est esse).
ANALOGIE DE L’ETRE
Notion d’analogie
La
notion d’être n’est pas univoque puisqu’elle convient aussi bien à ce que les
êtres ont de commun et d’absolument identique qu’à ce qu’ils ont de propre et
donc de divers. Par conséquent, elle est réalisée de façon diverse en chacun
d’eux. Elle n’est pas non plus équivoque, car « l’être que nous attribuons
à toutes les réalités indique bien en elles un
rapport commun à l’existence : chaque être a l’existence qui convient
à son essence. C’est le contenu explicite
commun de la notion d’être ».[5]
D’ailleurs,
quand nous disons que Dieu est un être, que l’homme est un être, que cette
table est un être, nous ne pensons pas faire un quiproquo comme lorsque nous
disons que telle boisson et tel
De même, on s’aperçoit que l’être convient à tous, à la pierre, à la plante, à l’animal,
imperfections essentielles à chacun d’eux. La notion d’être est donc analogue du fait qu’elle s’applique à
des êtres divers, selon une certaine ressemblance. Tout en impliquant
confusément la plus grande diversité, elle ne s’arrête pas à cette diversité,
mais elle fixe au contraire l’attention sur ce fait commun à toutes les
réalités diverses : le fait d’exister chacune selon son essence. Le
concept être n’a donc pas une signification parfaitement identique et univoque,
mais une signification proportionnelle.
Signalons
que l’analogie est une propriété des
noms et des concepts communs. C’est la raison pour laquelle les divers exposées
de l’analogie que nous rencontrons utilisent la division des prédicats en trois
groupes : Prédicat univoque, équivoque et analogue. Les autres éléments de
la théorie d’analogie sont empruntés à la métaphysique d’Aristote.[6]
Selon
sa définition ou signification primitive, « l’analogie désigne un rapport,
une convenance, une proportion »[7] : Toute dénomination
analogique se réfère donc à des rapports entre certains êtres. Cette communauté
de l’analogie peut être considérée soit du cotés des réalités qui sont référées
les unes aux autres c’est-à-dire des analogués, soit du coté du concept dans
lequel l’esprit s’efforce d’unifier la diversité qu’il a ainsi devant les yeux.
L’analogie implique toujours un
certain ordre qui lui-même suppose un principe unificateur : pour qu’il y
ait l’analogie véritable, il faut donc qu’il y ait une pluralité des réalités
référées les unes aux autres, suivant un certain ordre et que l’esprit
s’efforce d’unifier dans un seul concept.
De façon habituelle, Saint Thomas présente l’analogie comme « un mode d’attribution intermédiaire entre l’attribution univoque et l’attribution équivoque »[8]. Le terme univoque se rapporte à ses inférieurs selon une même signification ; le terme ou le nom équivoque ne convient aux choses auxquelles il est attribuées que selon des significations entièrement diverses ; le terme analogue, lui se dit de ses inferieurs selon une signification partiellement semblable.
Division del’analogie
Saint
Thomas d’Aquin distingue deux grands types d’analogies : l’analogie
d’attribution dite « de proportion »
et l’analogie de proportionnalité.[9]
a. L’analogie d’attribution ou de proportion
Elle
est celle d’un concept qui convient extrinsèquement à plusieurs choses en
raison de leurs rapports à une autre, à laquelle le concept lui convient
intrinsèquement et que l’on appelle le premier analogué. Elle peut être définie
au sens strict et au sens large.
-
Au
sens strict : il y a une analogie d’attribution
quand le concept ne convient intrinsèquement qu’au premier analogué. Prenons
l’exemple classique : on dit que l’air est sain, que la nourriture est
saine parce qu’ils font l’homme sain (1ère analogué). Ni l’air ni la
nourriture n’ont la santé. Seul l’homme possède intrinsèquement la santé, l’air
et la nourriture ne le possédant qu’extrinsèquement. (Ici sain est un concept analogue d’analogie d’attribution au sens
strict).
-
Au
sens large : il y a analogie d’attribution quand le
concept convient intrinsèquement et formellement à tous les analogués, mais ne
convient parfaitement qu’au premier analogué. Par exemple, la vie convient à
l’ange, à l’homme, à la plante, à l’animal, mais ne convient parfaitement et en
plénitude qu’à Dieu. (Ici vie est
analogue d’analogie d’attribution au sens large).[10]
b. Analogie de proportionnalité
Lorsqu’un
concept convient intrinsèquement à plusieurs choses en vertu d’une similitude
de rapport qui peut être exprimé dans une proportion, il y a une analogie de
proportionnalité. Il existe deux types d’analogie de proportionnalité :
-
Analogie
de proportionnalité propre qui suppose que l’analogie se trouve
intrinsèquement et selon son sens propre en chacun des analogués. De plus, on a
l’analogie de proportionnalité propre quand le concept qui convient
intrinsèquement à tous se réalise formellement en tous, mais à des degrés
divers. Par exemple : La végétation est à la plante ce que la vie
sensitive est à l’animal ; la vie humaine à l’homme ; la vie divine à
Dieu.
- Analogie
de proportionnalité métaphorique ; quand le concept qui convient
intrinsèquement à plusieurs êtres ne se réalise formellement selon sa
signification propre que dans un seul. Par exemple : Le lion est le roi
des animaux ce que Henri IV est le roi des Français.[11]
On remarque que l’analogie d’attribution au sens large et l’analogie de proportionnalité propre coïncident.
Analogie de l'être
Avant
de parler de l’analogie de l’être chez Saint Thomas d’Aquin, il importe de
savoir la conception de l’analogie chez Aristote. L’analyse Aristotélicienne
s’étend sur les différentes acceptions dans lesquelles l’être peut se prendre à
partir de la copule « être »
dans la proposition attributive. C’est ce qu’il appelle catégorie ou genre de l’être. Partant de là, il parle de l’analogie
dans tous les cas où, quatre termes au moins étant donnés, le second terme est
au premier comme le quatrième est au troisième[12]. Aristote illustre cela
par l’exemple qu’il donne dans l’Ethique
à Nicomaque : la vue est au corps ce que l’intelligence est à l’âme.
Chez
Saint Thomas d’Aquin, l’analogie de l’être est le concept clef de toute sa
métaphysique, car il rend compte de l’unicité du réel tout en maintenant sa
multiplicité et il lui imprime un mouvement dynamique et hiérarchique vers
Dieu, terme vers lequel tout étant et s’ordonne. Chez Saint Thomas d’Aquin,
« l’analogie d’être est conçue comme le mode hiérarchique d’une
participation graduelle des étants à l’être, selon leur dignité, permettant par
contrecoup de sauver l’univocité du genre, étudié par la métaphysique ».[13]
Pour
élaborer une théorie cohérente et unifiée de l’analogie de l’être, Saint Thomas
s’est efforcer d’appliquer l’analogie prédicamentale découverte par Aristote au
rapport des êtres à Dieu, c’est-à-dire à l’analogie transcendantale, de façon
que la diversité unifiée qu’on rencontre au niveau horizontale, des catégories
et celles qu’on trouve au plan vertical des substances relève d’un même
principe d’explication, l’analogie par référence à un premier.
En
premier lieu, il faut marquer en quoi l’analogie de l’être ressemble à celle de
la santé et comment elle en diffère. En effet, ce dernier est manifestement
extrinsèque, elle ne comporte aucune participation formelle intrinsèque,
puisque la santé, en définitive ne peut appartenir qu’à un vivant. Si
l’analogie de l’être devait être étendue de cette manière, tout l’être
appartiendrait exclusivement au premier, soit à la substance, soit à Dieu.
L’analogie de la santé ne s’applique pas à l’ordre de l’être parce qu’elle est
extrinsèque ; elle est comme dit Saint Thomas, secundum intentionem tantum et non secundum esse, tandis que
l’analogie de l’être est une analogie intrinsèque,
secundum intentionem et secundum esse.
Bref, l’analogie par rapport au premier est de deux sortes : L’une extrinsèque, celle de santé ; l’autre intrinsèque, celle de l’être, suivant que la notion analogiquement commune. La seconde diffère de la première en ceci qu’elle comporte une participation intrinsèque, elle se définit à la fois par la dépendance causale à l’égard du premier être, et par la possession intrinsèque de la perfection de l’être. Pour Saint Thomas, le rapport ad unum définit l’analogie. L’unité analogique provient du terme commun ; la diversité de la relation différente que chacun des analogués entretient avec le premier et le premier est précisé, doit être réellement et numériquement Un. L’analogie de l’être rassemble dans l’unité une diversité réelle, qui est loin d’être superficielle diversité des modes prédicamentaux et des degrés substantiels. S’il y a de l’unité dans l’être, c’est parce qu’il y a un premier réellement un. Toute la multiplicité est ainsi rattachée à l’unité du premier, qu’il s’agisse de la substance pour l’analogie prédicamentale ou de Dieu pour l’analogie transcendantale.[14]
CONCLUSION
L’analogie de l’être est
un thème important dans la pensée de Saint Thomas d’Aquin. Dans sa Philosophie,
il a complété Aristote en ce qui concerne la notion d’analogie. Mais alors, l’analogie de l’être ne doit pas
substituer l’unité proportionnelle d’un concept à la diversité réelle des
êtres, elle doit reproduire l’unité d’ordre qui relie les êtres à leur
Principe. Par là, et par là seulement, apparaît la signification réaliste et
critique que revêt la théorie de l’analogie de l’être dans la philosophie de
Saint Thomas.
(Rédigé
en collaboration[15]
et publié le 30 mars 2014)
BIBLIOGRAPHIE
XXX, Grand Dictionnaire de la Philosophie,
dir. Michel BLAY, CNRS EDITIONS, Paris 2003.
RUSS J., Dictionnaire de Philosophie, Bordas,
Paris 1991.
AUBENQUE P., Le problème de l’être chez Aristote,
PUF, Paris 19623.
GARDE
II H. D., Initiation à la philosophie de
Saint Thomas d’Aquin, Ed. CERF, Paris 19527.
GARRIGOU
– LAGRANGE P. Fr. R., DIEU Son existence
et sa Nature. Solution Thomiste des antinomies agnostiques, Beauchesne,
Paris 195011.
MONTAGNE
B., O. P., La doctrine de l’analogie de
l’être d’après Saint Thomas d’Aquin, t. VI, Ed. Beatrice-NAUWELAERTS, Paris
1963.
PROTON
D. E., Saint Thomas d’Aquin, Editions
Universitaires, Paris 1969.
http://fr.m.wikipedia.org/wiki/Ontologie_(philosophie), consulté le 14 mars 2014.
[1] J. RUSS, Dictionnaire de
Philosophie, Bordas, Paris 1991, p. 98
[2] http://fr.m.wikipedia.org/wiki/Ontologie_(philosophie),
consulté le 14 mars 2014.
[3] H. D. GARDE II, Initiation à la
philosophie de Saint Thomas d’Aquin, Ed. CERF, Paris 19527, p.
27
[4] Cf. P. Fr. R., GARRIGOU – LAGRANGE, DIEU Son existence et sa Nature. Solution Thomiste des antinomies
agnostiques, Beauchesne, Paris 195011, p. 538
[5] D. E. PROTON, Saint Thomas
d’Aquin, Editions Universitaires, Paris 1969, p. 62
[6] Cf. B. MONTAGNE, O. P., La
doctrine de l’analogie de l’être d’après Saint Thomas d’Aquin, t. VI, Ed.
Beatrice-NAUWELAERTS, Paris 1963, p. 24
[7] H. D. GARDE II, Op. cit., p.
35
[8] Ibidem, p. 34
[9] Cf. Ibidem, p. 35
[10] Cf. D. E. PROTON, Op. cit.,
pp. 60 – 61.
[11] Cf. Ibidem, p. 61.
[12] Cf. P. AUBENQUE, Le problème de
l’être chez Aristote, PUF, Paris 19623.
[13] Cf. XXX, Grand Dictionnaire de
la Philosophie, dir. Michel BLAY, CNRS EDITIONS, Paris 2003, p. 32
[14] Cf. B. MONTAGNE, O. P., Op. cit.,
p. 62
[15] Rédigé en collaboration par BIMENYIMANA Pascal, BINDIGIRI Célestin, BIZIMANA Privat
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